Voici le Festival de Cannes 2018.
Certains y verront comme chaque année le glamour, le faste. Chez Nocturnes Productions, il s’agit d’une semaine décisive.
En effet, cette société de production aixoise vient de produire un court-métrage de fiction, Dramonasc, projeté le 2 juin à la Ciotat, et qui sera en compétition pour le prix UniFrance du court-métrage, remis justement lors du festival.
Olivier Bohler, son co-producteur et co-réalisateur avec Céline Gailleurd, a bien voulu répondre à nos questions.
Créée en 2007 et domiciliée à Aix-en-Provence, Nocturnes Productions produit des documentaires, des courts-métrages de fiction ainsi que des bonus DVD. On connaît la réputation du milieu du cinéma : beaucoup d’appelés, peu d’élus. Comment avez-vous réussi à vous faire une place ? Comment est né Nocturnes Productions ?
Nocturnes Productions est né autour d’un projet de documentaire sur Jean-Pierre Melville, un cinéaste français qui a réalisé Le Cercle rouge, L’Armée des ombres, et de nombreux grands films, de l’après-guerre jusqu’aux années 70.
Pourquoi lui ? En fait, j’avais fait ma thèse sur Jean-Pierre Melville pendant mes études en histoire du Cinéma et je m’étais rendu compte qu’il n’y avait aucun documentaire sur lui, justement. Ses films ont été des succès colossaux mais c’était un auteur un peu oublié alors qu’il a eu un parcours passionnant : il a été résistant, il a combattu avec les américains dans les Forces Françaises Libres. C’était aussi l’occasion de rencontrer des gens passionnés, et passionnants eux aussi.
Mais c’était aussi un vrai challenge : j’avais un parcours purement théorique ; ma première tentative de collaboration avec une société de production à Paris pour monter ce projet avait échoué ; Raphaël Millet, mon associé, avec qui j’ai décidé finalement de monter une société de production pour le faire aboutir, avait travaillé pour France Télévision mais comme moi, il n’avait jamais produit de film et n’avait pas d’expérience dans la technique.
Toujours est-il que cette année, c’est le centenaire de Jean-Pierre Melville, et notre documentaire a eu encore des dizaines de projections dans le monde entier. On ne s’était pas trompés sur le sujet ! Et c’est ce qui nous a permis de lancer d’autres projets derrière.
Votre actualité, c’est DRAMONASC, un court métrage de 25 minutes. Il a reçu le label Scénario de la Maison du film, le prix de l’Association Beaumarchais-SACD, le Prix du Public au dernier Festival International du Film d’Aubagne. Il a également été sélectionné pour le Festival cinéma nouv.o.monde de Rousset, et pour le prix UniFrance du Court métrage, qui sera remis lors du festival de Cannes. Il sera projeté le 31 mai à la SACD Paris, puis au festival Côté Court de Pantin, qui est une référence pour le court métrage, et le 2 juin au festival du Premier Film Francophone à La Ciotat. Dramonasc est le nom d’un hameau qu’une jeune fille fait découvrir à son demi-frère, un été dans les Alpes. Tout d’abord quelle est la genèse de ce court-métrage ?
Le projet est d’abord lié aux racines de la coréalisatrice, Céline Gailleurd. Une partie de sa famille vient de la vallée de L’Ubaye, qui sert de décor à « Dramonasc » avec le lac de Serre-Ponçon. Plus jeune, elle y passé ses vacances, et elle connaissait très bien cet endroit.
C’est une région retirée de tout, un paysage de montagnes, de petits villages abandonnés et tombés en ruine depuis l’installation du barrage électrique de Serre-Ponçon.
L’idée était de parler de l’adolescence dans ce milieu. Les jeunes y profitent de beaucoup de liberté, mais ils sont aussi très souvent désœuvrés l’été. Peu nombreux, ils évoluent dans un cadre de rêve, mais peuvent parfois s’y sentir prisonniers, étouffés. La ville, vue de là-bas, semble très lointaine.
Nous avons croisé le portrait de cette adolescence avec un autre aspect de la région. Dans les Alpes certains foyers, très isolés, ont été marqués par des histoires de consanguinité, jusque dans les années 60. Par la suite, cela a provoqué une véritable hantise parmi les familles de la région. Par ailleurs, aujourd’hui, du fait de l’éclatement des familles, nous avons connu plusieurs cas d’adolescents qui ont eu des relations avec leur demi-frère ou leur demi-sœur, souvent sans savoir d’abord quel était leur lien réel.
Le scénario est donc un croisement entre l’histoire récente de cette région, des histoires anciennes et la période de l’adolescence où tout est exacerbé…
Dans Format Court !, Mathieu Lericq écrit : « Dramonasc repose sur une mise en scène à la fois gracieuse et électrisante (…) Les cinéastes parviennent ainsi à créer une œuvre aux apparences trompeuses, qui tire sa profondeur de l’atmosphère sonore révélant l’importance des éléments environnants, qu’ils soient macroscopiques ou microscopiques (…). Comme si le profond silence des regards, en dehors des dialogues, devenait le lieu d’un espoir, celui de partir, de quitter ses conditions, d’appréhender différemment le présent (…) ». Sans rien dévoiler, de quoi parle vraiment Dramonasc ? De racines ? De déracinement ? D’enracinement et à la fois d’émancipation ?
Oui tout à fait, c’est très bien résumé.
Notre personnage principal, Lise, est totalement enraciné dans cette région, qu’elle fait découvrir à son demi-frère. Elle y mène la vie telle qu’on la vit dans ce lieu.
Son demi-frère, qui vient de Marseille, la « ville », représente pour elle celui qui a connu quelque chose d’autre.
Il la fait rêver pour ça aussi, parce qu’il a vécu autre chose, parce qu’il est différent des autres. Lise voit en lui la possibilité de s’émanciper, de sortir de là, de découvrir le monde.
Donc c’est exactement ça, la problématique. Simon retrouve ses racines et Lise, elle, voit en lui un moyen de partir.
Il faut bien comprendre que ce sont des régions très belles, et n’importe qui aurait envie de vivre dans ce cadre. Une partie de l’équipe de tournage venait de Paris, et même si les journées étaient dures, ils ont apprécié de travailler dans d’aussi beaux paysages. Mais on voulait montrer cette complexité, sans porter de jugement : l’enracinement et le désir de partir.
Dans ce contexte, le poids social est tel que, dès que quelque chose vient perturber l’équilibre du groupe, vos meilleurs amis deviennent vos meilleurs ennemis. Vous ne pouvez pas vous permettre de vous mettre à dos les 9 ou 10 autres jeunes de votre village : ce choix-là n’existe pas non plus.
Quelques films ou séries ont essayé de montrer les coulisses du cinéma. On pense notamment à la série française « Dix pour cent » de Fanny Herrero, au « Bal des Actrices » de Maiwenn, à « The disaster artist » de James Franco qui raconte la production du « nanar ultime », « The Room »… En tant que professionnel du cinéma, qu’en pensez-vous ?
Je n’en ai vu aucun des trois, et je vais avoir du mal à vous répondre. Mais d’une façon générale je suis souvent étonné de ce type d’exercice.
Ces films devraient être extrêmement justes mais j’ai l’impression qu’on raconte surtout ce que le public attend qu’on raconte.
Le réalisateur totalement opprimé par son producteur, c’est un peu un cliché. Surtout en France, ou l’industrie est extrêmement encadrée. Peut-être que je n’ai vu que des films américains et qu’ils ne correspondent pas à la réalité du cinéma français ?
La grande aventure dans la production cinématographique, et qui ne fait pas rêver le public, c’est de trouver des financements. Le grand moment d’émotion, c’est le moment où on dépose un dossier de demande de subventions, après avoir passé des semaines à le compléter ! L’administratif occupe une place importante dans mon métier.
Avec l’équipe de Nocturnes Productions, nous avons prévu d’aller à Cannes pendant 8 jours*. Et pendant 8 jours, nous allons prendre des rendez-vous, « pitcher »**, passer des coups de fil, envoyer des mails, tenter de rassembler plusieurs personnes pour faire avancer un projet.
Mais il faut replacer en contexte : nous produisons des documentaires et des courts métrages, pas des films à 12 millions de dollars…
Après avoir réalisé des documentaires depuis 10 ans, « Dramonasc » est particulier pour nous, puisque c’est notre première fiction. Les budgets sont différents, on passe de 4 à 30 techniciens, il faut diriger des acteurs… Le but à terme étant de faire d’autres courts métrages de fiction et puis, pourquoi pas, un long métrage.
Pour l’instant, notre prochain projet est un documentaire sur le cinéma muet italien, de 1895 à 1930. Et nous commençons aussi à écrire un nouveau court métrage, qui sera une sorte de conte fantastique…
Enfin, pourquoi avoir choisi le centre d’affaires Amadeus, en plein centre d’Aix-en-Provence, comme siège juridique de votre société ?
Je suis d’Aix-en-Provence, et Céline Gailleurd a des origines aussi à Venelles.
On travaille beaucoup à la maison, où on écrit, ou alors on est en déplacement, en repérage pour un film, à un festival, à Paris pour rencontrer des chaînes de télé, des organismes, certains techniciens. Pour nous c’était important qu’il y ait un lieu fixe où il y a toujours quelqu’un pour recevoir le courrier, les recommandés… et Aix-en-Provence me semblait représentatif aussi de ce que nous sommes.
D’ailleurs, baser notre société de production à Aix a été un tremplin pour nous, ça nous a permis de nous distinguer.
Vous savez, c’est une région très dynamique. La Région PACA aide beaucoup le cinéma, il y a des infrastructures qui se sont créées, des studios… la chaîne de production cinématographique est complète en PACA.
De plus, je fais partie de l’association LPA, Les Producteurs Associés de PACA, qui regroupe des producteurs de toute la région. On partage des informations, ça marche très bien.
Vous souhaitez assister à la projection de Dramonasc ?
La prochaine projection se tiendra le Samedi 2 juin à 14h : projection au Festival du Premier Film Francophone à l’Eden Théâtre, 25 Boulevard Georges Clemenceau, 13600 La Ciotat.
Page Facebook de Nocturnes Productions
Page Facebook de DRAMONASC
Cet entretien a été réalisé peu avant le début du Festival de Cannes.
**Pitcher : faire un résumé très court et très clair d’un projet, en 1 à 3 minutes, par exemple pour donner envie à d’éventuels investisseurs d’y participer.